Emmanuel BARBE - Délégué interministériel à la sécurité routière
Monsieur le Ministre, Monsieur le Président du Conseil national de la sécurité routière, Monsieur le Préfet de la région Ile-de-France et Préfet de Paris, Mesdames et Messieurs les membres du CNSR, Mesdames et Messieurs. C’est un grand honneur qui m’est fait de m’exprimer aujourd’hui devant vous, pour ouvrir cette nouvelle séance du nouveau CNSR, avec pour objectif commun la lutte contre la violence routière. Je souhaiterais, puisqu’il m’incombe de parler en premier, rappeler pourquoi et surtout pour qui nous sommes réunis. Sont tuées en moyenne sur les routes françaises 9 personnes chaque jour, 67 personnes chaque semaine et 290 personnes chaque mois. Depuis 1952, début de nos statistiques, c’est un chiffre souvent répété : ce sont près de 850 000 personnes qui ont été tuées, soit le nombre d’habitants actuels de Marseille. N’oublions jamais que pour une personne tuée sur la route, on estime que 7 sont très gravement blessées et gardent dans leur chair ou dans leur âme des séquelles importantes et le plus souvent irréparables. Sans compter, c’est le message de communication « L’onde de choc », toutes les victimes de l’accident qui ne sont pas physiquement présentes : familles, proches et collègues, dont la vie sera souvent bouleversée pour toujours. Ces chiffres dramatiques, derrière lesquels il y a à chaque fois un prénom et un nom, s’égrainent tout au long de l’année. Dans cette granularité quotidienne, ils sont trop souvent reçus dans l’indifférence, dans une sorte de phénomène d’accoutumance et de lassitude, alors pourtant que les jeunes sont surreprésentés et qu’ils sont synonymes de tant et tant de souffrance et d’un immense gâchis.
Ces chiffres, qui impressionnent lorsqu’on les agrège, sont évidemment inacceptables, puisqu’on estime que 90 % des accidents de la route sont le fait d’une erreur ou d’une faute. Ils pourraient donc être évités. Si l’on tourne le regard en dehors de la France, vers des pays comme nous engagés dans un chemin vertueux possédant, comme nous, des législations robustes et des systèmes de contrôles aboutis, même s’ils sont évidemment perfectibles, comment ne pas observer que nombreux d’entre eux, même les meilleurs, sont confrontés à des problèmes similaires à celui que nous avons connu depuis 2014, à savoir une reprise à la hausse des chiffres de l’accidentalité et un caractère erratique des évolutions statistiques ? Je suis évidemment convaincu qu’elles porteront leurs fruits.
La sécurité routière et son miroir, la violence routière, sont des phénomènes collectifs complexes, dont les causes sont multiples, ils sont intimement liés – comment cela pourrait-il être autrement ? – aux évolutions de la société dans son ensemble. C’est pour cela que la sécurité routière est, certes, une politique de sécurité par son but, mais elle est d’abord une politique de santé publique dans son objet, dans le sens où elle doit toucher l’ensemble, ou presque, de la population et que nous en sommes tous, nous ici présents également, les protagonistes, puisque nous sommes, sans exception, des usagers de la route. Les évolutions de la société doivent donc pleinement être prises en compte dans l’orientation de notre action. La lutte contre la violence routière, aujourd’hui, ne peut pas être conduite comme il y a quinze ans, même si, bien évidemment, il faut en garder les fondamentaux. Le contexte économique, la démographie, les relations entre citoyens, l’extrême disponibilité des développements technologiques, des usages et des moyens de déplacement et enfin le rapport de nos concitoyens à la sécurité et à la norme ont changé. Ces changements s’opèrent à un rythme toujours plus rapide. Nous devons impérativement nous y adapter.
Je souhaiterais, à cet égard, mettre l’accent sur trois points caractéristiques sur lesquels nous devons collectivement réfléchir, tout particulièrement au sein du CNSR. Le premier point, c’est la révolution numérique. Elle a envahi notre société et donc, logiquement, le monde de la route, véritablement gorgé de données. Comme la langue des Hommes, le numérique est la pire et la meilleure des choses. L’informatique sécurise nos véhicules. Le véhicule autonome sera sans doute l’aboutissement d’une évolution dont les bénéfices se font déjà sentir. Au passage, ces évolutions doivent nous obliger à nous interroger rapidement sur ce que seront demain les compétences requises pour conduire un véhicule. Il nous faut sans doute déjà penser l’éducation routière de demain.
L’usage du téléphone au volant tend à devenir un véritable fléau. Ses effets, en termes d’accidentalité, sont incontestablement sous-évalués. Comment, par ailleurs, ne pas mentionner ces applications et systèmes qui permettent d’éviter en temps réel les radars et, encore plus grave, les forces de l’ordre, ou encore cette profusion d’écrans incontestablement sources de distraction ? Reste que le numérique sera certainement à court terme un atout majeur, par exemple, pour mieux mesurer et beaucoup plus rapidement le nombre de kilomètres parcourus par les véhicules et ainsi leur exposition aux risques. Voilà qui constituera un instrument beaucoup plus fiable d’évaluation de la politique publique de sécurité routière. Un système en open data permettra de fournir en permanence aux usagers, via leurs applications de guidage, la vitesse limite autorisée. Ce projet décidé par le Comité interministériel de la sécurité routière, le CISR du 2 octobre 2015, a été lancé par la sécurité routière. La science des données, la data science, permettra également de rapidement mettre en place des stratégies de lutte contre la fraude développées par ceux qui essaient d’échapper à la sanction et d’abord à leurs propres responsabilités. Elle permettra de mieux organiser l’exploitation des données provenant de sources toujours plus nombreuses pour démultiplier les connaissances d’accidentologie. Elle sera donc un formidable outil de structuration de la délégation à la sécurité routière. Nous sommes déjà sous votre direction, Monsieur le Ministre, engagés dans cette voie de la restructuration complète de nos systèmes d’information.
Toujours grâce à la science des données, des outils d’accidentalité prédictive permettront de mieux aviser les usagers de la route et de mieux orienter le positionnement des contrôles ou des travaux sur nos routes, ce qui ne remplacera jamais, quoi qu’il en soit, la prudence et le respect des règles. Enfin, le numérique devrait aider à l’éducation populaire, grâce notamment au potentiel offert par les simulateurs de conduite, qui, couplée à des enseignants compétents, constitue de puissants moyens pédagogiques. Il me semble donc que la révolution numérique doit pleinement investir la sécurité routière.
Deuxième point, le vieillissement de la population. Il a pour conséquence une augmentation constante du nombre des seniors. Leur mobilité progresse fortement, s’agissant de personnes plus longtemps actives et désirant de ce fait profiter pleinement de leur temps libre grâce à la mobilité. Leur part dans la mortalité au volant représente un quart des morts. Le nombre des tués chez les seniors augmente de 10 % par an depuis deux ans. C’est une question qui se pose à nous avec toujours plus d’acuité. Il convient donc d’y apporter des réponses équilibrées, nuancées, bienveillantes et certainement imaginatives. Les progrès technologiques des véhicules auront sans doute un rôle à jouer.
Troisième point, pour finir. Je souhaiterais, Monsieur le Ministre, faire part de ma conviction que le monde de la sécurité routière doit, à l’instar du reste de la société, impérativement et plus que jamais se constituer en réseau. C’est en effet par la mise en commun des actions, celles des professionnels, qu’ils soient ou non fonctionnaires, comme les bénévoles, dont le rôle, qu’ils en soient remerciés ici, est si important en matière de sécurité routière, que nous pourrons collectivement faire progresser cette cause qui nous tient fort à cœur. C’est le sens de nombreuses actions lancées par la sécurité routière. Plate-forme des communicants, plate-forme des entreprises, réseau social numérique de tous les acteurs de la sécurité routière, quelle que soit leur origine. Je souhaiterais donc vous dire, Monsieur le Président, l’intérêt qu’il y aurait à ce que le CNSR, que vous vous apprêtez à conduire, puisse lui aussi se concevoir, s’animer et se vivre comme un réseau de la sécurité routière. La délégation que j’ai l’honneur de diriger et que je voudrais publiquement remercier pour son engagement constant, vous apportera, comme au précédent CNSR, tout son appui, notamment par l’intermédiaire du Secrétaire général du CNSR, Pascal Bouniol. Je vous remercie.